La forêt 
De l’autre côté de la plus grande montagne, de l’autre côté du glacier et des sommets enneigés, a poussé la plus grande forêt. Elle s’étend à perte de vue vers l’ouest, loin des hommes et de leurs petits souliers.
C’est une forêt difficile d’accès et les quelques marcheurs aguerris du village qui s’y sont rendus se comptent sur les doigts de la main.
Des histoires et légendes à son sujet sillonnent les rues du village. Les anciens parlent d’esprits malveillants et de brume épaisse, les soirs d’hiver au coin du feu. Certains assurent avoir entendu des murmures provenant de ces bois sombres, emportés par le vent lorsqu’il soufflait fort et qu’il franchissait les sommets. Des murmures qui appelaient ou mettaient en garde. On dit que les arbres y ont des yeux, que des créatures y parlent une langue qu’on ne comprend pas et qu’une tourbe noire y tapit le sol. On dit qu’une fois descendu là-bas, les pentes escarpées s’érodent et qu’il est impossible de rebrousser chemin.
Les soirs d’été en revanche, lorsqu’un vent chaud court sur les prés et que les grillons se mettent à chanter, ces mêmes anciens, assis sur leur banc de bois, une bière-grenadine à la main, parlent d’une forêt chantante, peuplée d’oiseaux qu’on ne rencontre pas dans nos vallées. Une forêt claire où se dressent d’immenses érables et dont les sous-bois sont tapis de myrtilles et de groseilles. Une forêt où des ruisseaux riches de poissons colorés sillonnent les hautes herbes et fertilisent les sols. On parle d’un endroit que personne ne veut quitter, une fois y avoir mis les pieds.
Difficile pour les habitants de Deltadorf de faire le tri entre fantasmes et certitudes parmi ce que content les anciens.  Tout ce que l’on sait, c’est que ceux qui s’y sont aventurés ne sont jamais revenus et que la peur est un sentiment tout de même plus fort que la curiosité